La question du travail, en cette période de crise, relance le débat autour des notions de maintien de rentabilité et de logiques marchandes versus utilité sociale, sens et réalisation de soi. Ces notions sont-elles antagonistes ou complémentaires pour permettre au travail d’être à la fois une richesse pour l’entreprise et les hommes qui la composent ?
L’approche économique du travail renvoie à des résultats visibles avec ses objectifs annoncés qu’il faudra atteindre quoi qu’il en soit, ses reportings successifs pour mieux contrôler une activité en berne. Les marges opérationnelles seront difficiles à maintenir et l’EBIT ne traduira pas nécessairement la performance escomptée. L’approche psychosociale du travail, quant à elle, s’intéresse aux situations professionnelles vécues par des salariés en recherche de sens et de qualité du travail « bien fait ». Si les objectifs sont perçus comme contradictoires, les reportings jugés inutiles ou trop contrôlant et si les marges commerciales considérées comme inatteignables, la dimension psychosociale ne sera pas satisfaite.
Nous constatons sur le terrain, et encore davantage dans notre période inédite, que travailler demande de répondre à plusieurs exigences de production, de qualité, de sécurité, parfois contradictoires (par ex. devoir atteindre un nombre de visites clients/jour sans tenir compte de la qualité du service rendu ou du manque de moyens adaptés à la période de reprise). Il s’agit de réagir à l’imprévu ou au manque d’anticipation (pièces de rechange ou matières premières manquantes, EPI non disponibles, afflux de commandes clients qu’il faut rattraper …). Travailler demande de faire autre chose que ce qu’on demande au salarié (privilégier le temps de qualité de visite client plutôt que la quantité des visites programmée). Le travail varie donc en fonction de ces éléments et de l’état d’énergie et d’émotion de l’individu qui le réalise. L’individu réajuste constamment son activité pour satisfaire le résultat du travail prescrit par l’entreprise, en prenant des chemins détournés. Ce travail d’ajustement invisible peut être coûteux physiquement et mentalement si les moyens techniques et humains sont insuffisants. Dernièrement un participant à nos ateliers d’accompagnement managérial pour la reprise d’activité, témoignait de la difficulté à relancer un chantier client avec une équipe sur site en effectif réduit, en raison du contexte sanitaire. Sa stratégie de contournement a consisté à prendre une partie de la charge de travail de son équipe pour privilégier la qualité des prestations, au détriment de la préservation de sa santé. A défaut quelles conséquences pour le client ?
Sans prise en compte de cette variabilité et du coût du travail invisible pour ses salariés, l’entreprise peut passer à côté de la satisfaction des besoins de ses clients et ceux de ses collaborateurs, dont la santé peut être impactée.
Pour prendre soin de ses clients, on a donc intérêt à soigner l’organisation du travail, en donnant aux équipes la capacité de pouvoir s’exprimer et d’agir sur leurs situations de travail. Le pouvoir de dire se retrouve dans l’autorisation explicite de l’entreprise à permettre aux managers et leurs collaborateurs de discuter de leur conception du travail « bien fait », en organisant des espaces de discussion. La capacité donnée au management d’être à l’écoute de ses collaborateurs constitue la première brique pour prendre soin du travail. Le deuxième niveau de contribution des soins réside dans le pouvoir d’agir des équipes, en donnant à l’organisation les moyens de faire du « beau travail », comme l’artisan parvient à réaliser son œuvre. Faire du bon travail participe à la bonne santé de l’individu.
Plus l’entreprise prendra soin de cette dimension du travail, plus elle privilégiera l’efficacité opérationnelle et la santé de ses collaborateurs, pour une meilleure écologie humaine, si précieuse en cette période de crise.
Florence HENSGEN