Installer et animer un réseau interne de préventeurs des risques psychosociaux (RPS), pour compléter l’action des acteurs de la prévention déjà présents (Ressources Humaines, IRP, Médecine du travail, managers) se révèle un chemin à construire, encore loin de ceux déjà tracés.
Avec plusieurs de nos clients, nous avons pu poser ces premières balises, que nous proposons de partager ici, conscients néanmoins de la spécificité du chemin propre à chaque entreprise, à sa culture, ses modes de fonctionnement, spécificités métiers et dispositifs de prévention existants. Plusieurs voies donc. Et autant d’expériences.
Un nouvel acteur de la prévention, pour quoi faire ?
L’ambition de compléter le réseau de préventeurs existants par la création d’une fonction spécifique d’animateur Qualité de Vie au Travail (QVT), semble répondre avant tout à un adage que nous affectionnons particulièrement en tant que préventeurs : « l’important c’est de multiplier le nombre de portes pouvant être ouvertes par un collaborateur en situation difficile », en mobilisant résolument des acteurs terrain, proches des collaborateurs. Il peut en effet être parfois plus aisé de parler de ses difficultés à un collègue proche qu’à son manager (relation hiérarchique) ou à un acteur central (éloignement physique et relation épisodique) qui plus est, s’il est basé sur un autre lieu de travail.
Outre le fait de positionner le sujet de la Qualité de Vie au Travail au plus proche du terrain et de la réalité du travail, mobiliser de nouveaux acteurs témoigne aussi d’une attention forte de la Direction accordée à ce sujet. L’entreprise fait acte de reconnaissance du lien santé-travail et de la nécessaire attention portée à la santé de chacun. Elle s’affirme par cette intention sur des « valeurs humaines » et agit concrètement, notamment en développant les compétences et la vigilance de ses collaborateurs en matière de prévention.
Quels champs d’action de la prévention, jusqu’ici couverts par des acteurs externes, peuvent aujourd’hui être confiés à un animateur QVT ?
L’observation et l’analyse de situations de travail, l’écoute des salariés, la veille et la remontée d’alertes sur des situations préoccupantes, le suivi d’indicateurs QVT, l’élaboration d’éléments de diagnostic, la coordination d’actions avec les autres acteurs internes, le pilotage d’un plan d’action QVT, sont autant de missions pouvant être attribuées à l’animateur QVT. Elles font appel à un positionnement du rôle et à des compétences diverses.
Bien sûr, l’animateur QVT ne peut porter à lui seul l’ensemble de ces actions mais il peut, dans un réseau maillé, en assumer une partie. Dès lors, le travail et la réflexion à mener devront porter sur la définition de son périmètre d’actions et sa complémentarité avec les autres acteurs du système.
Agir en complémentarité dans un nécessaire maillage : un pour tous, tous pour un !
La mise en lien des acteurs de la prévention des RPS n’est opérante qu’à la condition d’une répartition des rôles clairs entre eux. D’expérience, cette tâche peut s’avérer délicate : pour l’animateur QVT, qui ne souhaite pas se substituer ni aux managers, ni au RH et ni aux IRP ; tout comme pour ces derniers, qui peuvent craindre, par exemple, de perdre leurs attributions ou leur légitimité dans l’accompagnement des collaborateurs et en matière de santé au travail.
Ainsi, le rôle de l’animateur QVT ne peut s’envisager ex-nihilo, mais bien dans un dispositif global d’acteurs cohérent, que chacun doit contribuer à élaborer.
Par ailleurs, qu’il s’agisse de co-vigilance (mise en relation des acteurs afin d’échanger sur des situations préoccupantes dans le but d’agir de façon concertée) ou de réunions, plus ou moins régulières dédiées à l’évocation des situations psychosociales, force est de constater que les pratiques restent encore émergentes et ces dispositifs encore peu opérants dans la durée.
Dans ce contexte, le travail de maillage du réseau d’acteurs est un moyen efficace de contribuer au bon fonctionnement du dispositif global de prévention. A titre d’exemple, l’élaboration de protocoles de Prévention internes peut être un objet pertinent et concret pour clarifier les process, les rôles des uns et des autres, tout en travaillant la collaboration des acteurs de la prévention.
L’animateur QVT, « juge ET partie » ? : la confidentialité et la bonne posture comme garde-fous
Si la capacité de l’animateur QVT à écouter, soutenir un collègue en difficulté passe par une solide formation et une animation régulière (de type supervision avec un professionnel), ces deux pré-requis ne font pas tout. Ainsi, pour que l’animateur puisse jouer pleinement son rôle, il est essentiel qu’il puisse garantir, dans l’instant et dans le temps ! - un cadre de confidentialité strict, condition sine que non pour permettre à la parole des collaborateurs de se libérer. Cette condition stricte explique sûrement pourquoi, à ce jour, la Prévention (notamment tertiaire) en entreprise passe encore majoritairement par des acteurs externes, plus « neutres » et souvent jugés plus légitimes par le corps social.
Le sujet de la confidentialité ne manque d’ailleurs pas d’effrayer les apprenti(e)s préventeurs qui redoutent de se trouver englué(s)s, seul(e)s, dans des problématiques de souffrance d’autrui qui les dépasseraient. S’il n’est pas question de devenir psy à la place de, il s’agit tout de même de « savoir mettre le curseur au bon niveau » (variable en fonction du profil et de la formation de chacun), pour être… Et rester à la bonne place.
Caroline Laurent
Consultante Alterhego