Alors que les incertitudes temporelles et socio-économiques relatives à la pandémie mondiale sont toujours bien présentes, 2021 s’annonce comme une année durant laquelle reprennent ou s’inaugurent de profondes réorganisations des entreprises. Les changements déjà annoncés ou qui sont prêts à l’être sont d’une ampleur qui sera sans doute inédite : accélération des restructurations entraînant mobilités internes et externes des personnels ainsi que déménagements et fermetures de sites, réorganisations profondes du travail associées aux transitions numériques de digitalisation et de transformation des activités par les technologies.
Un tel contexte conduit à réinterroger les approches des transitions professionnelles chez les personnes au travail et les démarches pour les accompagner implantées dans les organisations. Nombre d’entreprises sont engagées de front dans des réorganisations de l’emploi et des évolutions de taille de l’organisation du travail. Quels accompagnements des transitions professionnelles sont envisageables quand chaque salarié - ou peu s’en faut - est aux prises avec des changements affectant de façon majeure son environnement de travail social, spatial et technique, ses activités ainsi que son devenir en emploi ?
Les politiques développées dans ce domaine et les moyens alloués indiquent, d’ores et déjà, de fortes disparités selon les cultures des organisations et les modalités de management des changements qui y ont cours. La course contre-la-montre semble s’accélérer afin d’implanter au plus vite les interventions permettant de « renforcer l’agilité en changement et limiter ses risques ». Sans même que soient parfois précisés plus avant ni les situations de changements en jeu ni leurs impacts potentiels sur le travail à accomplir et sur les personnes qui le réalisent. Alors que la demande en accompagnement individuel et collectif des transitions vécues dans les situations de travail est intense, les entreprises les plus avancées imaginent des dispositifs qui sont de plus en plus complexes pour accompagner le déploiement de ces changements multiples et en prévenir les potentiels effets délétères. Le mille-feuille des actions menées s’y épaissit, visant des accompagnements pluriels de changements spécifiques (installations en télétravail, réorganisations structurelles et sociotechniques des activités, mobilités de carrière…). Au point de devenir de moins en moins lisibles tant pour les décideurs que pour les intervenants et les salariés cibles. Sans politique d’ensemble en matière d’accompagnement des transitions dans l’organisation, l’écueil est celui d’un morcellement d’actions disparates, lancées au coup par coup sous la pression des aléas contextuels. Le pilotage en sera nécessairement de plus en plus difficile.
Faisant écho aux évolutions des demandes, l’offre en matière d’accompagnement des transitions a subi de profondes mutations ces dernières années. Il s’agit de proposer des actions permettant de réussir les différents passages à accomplir dans des périodes qui ont tendance à se réduire, jusqu’à être parfois peu soutenables. Ces actions sont aussi nettement orientées par les nécessités de prévenir les atteintes de santé et les risques psychosociaux chez les personnels impactés par l’implantation des changements. Si l’accent reste mis sur le développement des ressources psychosociales et la limitation des freins tout au long de la transition, des processus évolutifs dont on sait l’importance protectrice sont aussi pris en compte (tels que la construction de sens ou les évolutions de la confiance dans l’efficacité individuelle et collective à mener à bien les changements attendus).
Les populations professionnelles bénéficiant d’actions de sensibilisation et d’accompagnement des transitions se trouvent aujourd’hui démultipliées. Durant ces dernières années, ont été notablement renforcées les actions destinées au soutien des managers qui accompagnent au quotidien l’implantation des changements dans leurs équipes. Les modalités d’interventions se sont diversifiées. Les entretiens individuels ou collectifs restent la base mais sont aussi proposées, plus largement encore que par le passé, des séquences formatives ciblées sur le développement des compétences en situations de changement et sur la prévention des risques dans ces périodes. Des points d’étapes outillés par des questionnaires ad’hoc sont également élaborés et mis en œuvre à grande échelle. Ils visent à suivre différents indicateurs quant aux ressorts/freins et risques psychosociaux qui se présentent, afin d’orienter au mieux les actions d’accompagnement selon les situations de changement identifiées.
Le contexte contemporain de pandémie a nécessité d’adapter les démarches aux contraintes sanitaires limitant la présence sur le lieu de travail. Ainsi, l’intervention à distance s’est développée bien plus que précédemment durant ces derniers mois. Les nouvelles pratiques en distanciel étaient plus ou moins chaotiques initialement mais tendent à être aujourd’hui bien maîtrisées et plus efficaces pour atteindre leurs objectifs d’accompagnement. A ce titre, elles sont appelées à s’étendre considérablement dans les années qui viennent et les démarches d’accompagnement des transitions seront sans doute essentiellement hybrides. Le renouveau de l’offre dans ce domaine est en cours mais les réflexions sont encore lourdement sous influence de présupposés, favorables ou défavorables aux interventions visant à accompagner à distance le développement des personnes en transition.
Pour autant, alors que les demandes comme les offres en accompagnement des transitions s’intensifient au regard des changements organisationnels projetés ou déjà lancés, l’emballement actuel relèguent en arrière-plan des besoins qui sont bien présents. Ils ne sont pris en compte que marginalement aujourd’hui, faute de moyens ou d’intérêts à y répondre. Parmi les quasi-oubliés, sont à citer entre autres ceux qui se préparent au départ en retraite. Ils engagent une transition considérée comme l’une des plus éprouvantes de la vie adulte et qui entraîne un remaniement dans l’organisation des activités de travail en équipe. Les personnes qui sont en retour au travail dans leur organisation, après une longue absence, sont également nombreuses chaque année. Elles rencontrent le plus souvent des difficultés massives en transition de réintégration pour retrouver un poste leur correspondant et parce qu’elles peinent à répondre aux nouvelles attentes d’un milieu professionnel qui a changé depuis leur départ.
Enfin, certains salariés qui pourraient bénéficier de dispositifs proposés par leur organisation et dédiés aux transitions professionnelles qu’ils vivent, en restent écartés du fait d’une communication interne défaillante sur le sujet ou peu motivante à s’y inscrire. Quels que soient les moyens engagés, l’efficacité des démarches d’accompagnement repose inévitablement sur la stratégie de communication mise en place pour rendre visibles et accessibles les actions mais aussi pour susciter l’envie d’y participer.
Avril 2021
Anne-Marie Vonthron
Professeur de psychologie du travail et des organisations à l'Université Paris-Nanterre
Présidente de l'Association Internationale de Psychologie du Travail de Langue Française (AIPTLF)
Conseil du Cabinet Alterhego