Depuis près d’un an, nos conditions de travail sont bouleversées. Le recours à la télé-activité, non anticipé et massif, imposé par une crise sanitaire anxiogène, nous impacte tous. Ce changement abrupt génère une mise à distance (au moins physique) dans nos interactions professionnelles, mais également - et paradoxalement - plus « d’intime ».
Car si nous sommes tous confrontés à cette même crise sanitaire, elle suscite des représentations et vécus, bien différents chez chacun d’entre nous. Elle révèle, tout au long de nos journées de travail, des aspects singuliers de nos vies (situation de famille, enfants, espace de vie, contraintes d’organisation, garde, cuisine, courses…) que nous n’avons pas nécessairement l’habitude de voir immiscés dans le cadre du travail et qui peuvent avoir des répercussions importantes sur notre santé psychique et physique.
En parallèle, les temps en présentiel dont ceux, informels, d’échanges « à la machine à café » sont largement diminués, voire supprimés. Ainsi, le manager ne peut plus recourir autant qu’avant à l’observation naturelle des signaux comportementaux pour anticiper et prévenir les situations de difficultés.
A ce stade de la pérennisation de ces modes de fonctionnement, en quoi cette nouvelle « donne » peut-elle faire émerger de nouvelles pratiques de prévention, moins fondées sur l’observation et plus ancrées dans la « culture du dire » ? En quoi les managers disposent-ils, avec cette matière « intime », d’un levier pour pallier des moyens de détection à distance plus limités ?
Un contexte sanitaire qui fait émerger une dimension personnelle et intime au travail
La crise sanitaire, potentiellement anxiogène, interroge notre rapport à la mort, au sens de la vie : inquiétudes pour nos proches ou nous-mêmes, confrontation à la maladie, voire au décès… Dans ce contexte si particulier, notre vécu de la période peut également être affecté, par exemple, par une situation d’isolement, d’éventuelles tensions au sein de la famille ou des difficultés parentales, etc.
Dans un autre registre, des contraintes pratiques peuvent également venir s’inviter dans notre travail. Notre environnement de travail à la maison, nos conditions matérielles, la possibilité de nous isoler du bruit, des autres, de nous concentrer… sont des facteurs pouvant avoir un impact significatif sur notre qualité de vie au travail (QVT). Enfin, l’organisation de notre vie de tous les jours (courses, cuisine, garde d’enfant, activité physique…) subit des contraintes accrues du fait des confinements et couvre-feux…
Ces dimensions relèvent de « l’intime » et nous pouvons ajouter que le recours massif aux outils de visioconférence conduit bien souvent nos interlocuteurs de travail à découvrir notre domicile.
Manager l’intime, un levier incontournable de prévention des RPS dans la période ?
Dans ce contexte, en tant que manager, que faire de cette plus grande porosité entre les sphères personnelles et professionnelles ? Si l’intime » s’invite – qu’on le veuille ou non - dans nos échanges, nos réunions de travail… à quelles conditions peut-il devenir un allier de son management à distance ?
Un des enjeux de prévention des RPS dans la période réside dans la manière dont les managers vont s’approprier une posture d’intérêt et de questionnement (individuel et collectif) : oser interroger ce qu’ils devinent à peine, ne pas se satisfaire d’un « non, non ça va » quitte à insister, sans craindre d’outrepasser leur rôle ou de faire preuve de « curiosité mal placée ». Une intention saine d’attention à l’autre et de prévention des situations sensibles qui peut cependant rencontrer de nombreux freins : « je ne suis que son manager après tout », « ce n’est pas moi qui vais réparer sa connexion internet ou résoudre son problème de garde ! »
La juste ouverture du manager et sa prise en considération des contraintes personnelles des membres de son équipe, lui permettent au contraire d’activer les bons leviers managériaux. Par exemple, en adaptant au mieux la charge de travail, les horaires de sollicitation, ou le soutien dans la réalisation des activités… afin d’éviter la dégradation de la situation du collaborateur.
Souvent perçue comme accessoire, la « visio » qui nous introduit parfois au domicile de nos collaborateurs peut devenir un allier, un moyen détourné pour aborder la situation de notre interlocuteur et détecter des signaux faibles : « Je vois que tu es dans la chambre de ta fille, elle ne t’en veut pas que tu squattes sa chambre, tu as de bonnes conditions de travail ? ». « Je vois une guitare derrière toi, tu arrives toujours à trouver le temps de jouer un peu ? »
Les enjeux de la période invitent enfin les managers à exprimer leur propre vécu et contraintes personnelles avec authenticité dans une approche exemplaire qui « autorise » les membres de leur équipe à en faire autant. Il s’agit là de créer les conditions de confiance et de covigilance au sein du collectif de travail afin de faciliter les échanges « d’attention à l’autre » entre collaborateurs et avec le manager dans une logique transverse et responsable d’anticipation et de prévention des situations sensibles.
Simon Brossard – Consultant Alterhego