Une brèche s'est ouverte dans ce qui semblait indiscutable : généraliser le télétravail, et massivement, encore (1,5 jours seulement sur site en test chez PSA) ! Pour se protéger du Covid bien sûr, pour faire quelques économies de locaux sûrement, pour permettre un meilleur équilibre vie pro vie perso sans bouchon, pour laisser de la liberté de s'organiser, pour être plus efficace ? Formidable, le "new normal". Certes, ce n'est pas encore la tendance générale, le besoin de contrôle reste fort, mais beaucoup y pensent, en nouveaux convertis, thuriféraires de ce qui était impossible il y a 6 mois.
Cette crise en cours nous offre une opportunité de réfléchir à ce qu'est "travailler". Il peut se cacher derrière la tentation du télétravail généralisé une vision pauvre ou tronquée de l'acte de travail : travailler c'est juste réaliser une succession de tâches, un imaginaire de workflow paramétré... On peut le faire n'importe où, sans besoin d'un environnement particulier, voire bien mieux tout seul sans être dérangé (pour ceux qui ne sont pas sur des machines ou process de production sans travail à distance possible bien sûr).
Dans une "économie de la connaissance" qui doit être flexible, avec des collaborateurs subjectivement engagés pour s'adapter, c'est plutôt le contraire. Il est nécessaire d'être ensemble, pour se coordonner vite, pour se soutenir, célébrer, s'encourager, pour échanger de manière fluide sans les risques engendrés par la coordination à distance (tout expliquer par mail, ne pas avoir le non verbal et ne pas se comprendre). Il y a beaucoup plus que des tâches dans le travail. Il y a du corporel, de l'énergie, des émotions, de l'informel, de l'émergence non prévue, qui permettent la créativité, l'engagement, du plaisir à être ensemble, de tenir dans la durée face aux exigences du travail. Un des principaux facteurs de protection évoqués par les personnes dans les diagnostics RPS que nous menons est le soutien de l'équipe ! Attention donc à ne pas limiter le travail, le bien travailler à la seule bonne réalisation des tâches à faire. Ne remplaçons pas un dogme - "le télétravail, c'est inenvisageable"- par un autre - "c'est totalement formidable" et ce faisant confondre un moment de crise qui a mobilisé chacun de manière extraordinaire avec un nouvel état ordinaire du travail.
Nicolas MAGNANT