Le bonheur au travail, cet étonnant paradoxe

« Stop à la dictature du bonheur au travail » titrait Capital en 2018. Comment en est-on arrivé conjointement à ériger le bonheur au travail en objectif d’entreprise et en même temps à critiquer farouchement sa quête ?

Nous faisons l’hypothèse que c’est la convergence de 3 facteurs dans le temps. Il y a tout d’abord l’émergence des start up et de leur culture « cool » en rupture volontaire  avec les fonctionnements anciens. Le travail peut être fun, ce n’est plus un lieu austère de souffrance sérieuse. La quête du bonheur est bonne pour l’innovation, pour la santé et pour la productivité. Presque la panacée ! Un rôle de chief happiness officer est même créé pour s’assurer de l’atteinte de l’objectif.

Il y a ensuite la rencontre avec une tendance sociétale de fond, de plus en plus plus individualiste, consistant à s’occuper de soi, dans un état d’esprit marqué par la psychologie positive. Chacun est responsable de son bonheur, s’il décide d’être heureux. Une mise à jour « fun » du stoïcisme qui prédisait le bonheur si on ne s’attachait qu’à ce qui dépend de nous (nos croyances, donc). Réussir sa vie, être heureux au travail, s’inscrit donc bien dans cette quête insatiable de tout réussir tout le temps dans la vie.

Enfin, l’accroissement des exigences du travail en entreprise a engendré la survenue des risques psychosociaux, produisant au fil du temps burn out pour les plus engagés, bore out voire brown out pour ceux qui s’ennuient ou ne trouvent plus aucun sens à leur travail. Or agir sur le travail et son organisation est difficile, parfois impossible dans ces temps de « toujours plus avec toujours moins ». Agir sur l’individu devient le seul objectif possible. Rendre les gens heureux au travail peut donc devenir un objectif en soi. En plus, les études disent que c’est bon pour la productivité. Voilà comment les convergences peuvent produire des tendances…

Pourquoi être contre, alors ? Là aussi, sûrement pour plusieurs raisons. La principale est que l’objectif du bonheur conduit aisément à l’injonction au bonheur, ce qui est paradoxal, infantilisant et potentiellement hypocrite, voire tyrannique si l’on est dans l’obligation de faire des choses cool tout le temps avec ses collègues.

Ensuite, on risque soit le surengagement – la vie dépend totalement du travail – soit la dépression à poursuivre une chimère – le bonheur, somme de plaisirs par essence fugitifs, peut être un tonneau des danaïdes.

Enfin, le concept peut sembler un peu simpliste, voire méprisant. Soyez heureux avec des chouquettes et des baby foot dans sa caricature. Or c’est plutôt le travail de qualité, la fierté d’appartenance, le sens et l’utilité de l’action qui rendent « heureux » au travail. La recherche du bonheur ne peut pas être un objectif en soi, surtout si c’est faute de traiter les vraies difficultés du travail et si l’intention sous-jacente est de faire…encore plus de productivité.

Bref, le sujet est miné, complexe, peut être gentillet dans notre culture rationaliste volontiers cynique. Il a le mérite toutefois de pointer du doigt la nécessité de s’intéresser aux personnes qui travaillent, à leurs besoins, souvent délaissés par des entreprises qui ne voient souvent que l’horizon court terme à travers le prisme des chiffres et des réductions de coûts. C’est sûrement un bon symptôme, celui de la maladie du travail. Car c’est bien lui qu’il faut « soigner » et réenchanter.

Nicolas Magnant - directeur associé

Cet article est un extrait d'un livre à paraître "le guide du futur des RH et du management" co-écrit par Emmanuel Vivier et Caroline Loisel. Vous pouvez d'ores et déjà les suivre sur le site www.guidedufuturdesrhetdumanagement.com ainsi que sur www.hubinstitute.com

 

Retour vers le Blog