La sidération, un éclatement du tissu social et économique et la peur qui a fait surgir des actions d’entraide, sont des effets qui ont pu être observés lors du “confinement du printemps”. Il y a eu une recherche de vie dans la solidarité.
Et voilà un nouveau confinement à l’automne. Un “nouveau” qui devient deuxième et fait du précédent le “premier”.
Qu’avons-nous appris de la première expérience de confinement en tant que praticien, collaborateur et individu ? Qu’y a t’il à voir, à entendre et à appréhender dans cette deuxième expérience qui pourrait s’inscrire dans une série ?
En tant que psychologue spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux, de retour sur le terrain après quelques semaines à distance, j’ai pu retrouver mon environnement de travail. Les personnes que j’accompagne et l’équipe avec qui je collabore sont les mêmes. Pourtant, cet écosystème connu a changé. Il s’est tendu, chargé d’autant de tensions que d’individus qui le composent et le constituent.
Aujourd’hui, il y a une recherche de sens et une demande de réponses aux endroits mêmes qui représentaient jusqu’ici des piliers de soutien (soignants, psychologues, pôle social, etc.).
En analysant diverses interactions que j’ai eues depuis l’annonce officielle des nouvelles mesures sanitaires et en interrogeant ma propre pratique, j’observe de “l’insoutenable”. Que ce soit au niveau individuel ou organisationnel, ne pas avoir de réponses des personnes qui sont censées en donner, du fait de leur statut d'experts, renvoie à du vide.
Que ce soit pour des raisons personnelles ou d’ordre professionnel, chacun(e) peut traverser à un moment de sa vie une période de perte de sens et d’expérience du vide. Il existait jusqu’alors des institutions et des organisations opérantes pour les accompagner et les soutenir, leur permettant ainsi de se raccrocher à un système environnant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les mesures sanitaires nationales ont eu un impact à tous les niveaux qui composent la société, désorganisant les fonctionnements connus et reconnus.
Ainsi, les experts semblent désarmés et l’absence de réponses renvoie les personnes à un isolement plus violent encore que l’expérience du confinement. Le premier confinement avait un caractère inédit et “temporaire” qui a engendré des sursauts de vitalité, créant des micro-systèmes pour tenir “en attendant”.
Aujourd’hui, le paradoxe entre une volonté de retour à la normalité et des mesures incertaines quant à leur efficacité empêche de se projeter, alors que le système lui-même (politique, économique et social) nous met dans l’injonction de « vivre avec » et « d’aller bien ».
Les questions sont à la fois nombreuses, imprécises, répétitives, exigeantes et parfois même malmenantes pour celui qui n’a pas de réponse satisfaisante.
Ces questions sont à entendre comme des demandes d’aide : pour retrouver une inscription sociale, se réapproprier ou créer du sens à ses actions, pour inventer une nouvelle structure qui protège et qui permet les interactions.
Ne pas y répondre, ce serait renvoyer la personne dans un isolement dans lequel il ne pourrait plus sortir. Car, s'adresser à un autre ce n’est pas seulement lui présupposer la disposition d’une réponse, c’est aussi dans l’attente que l’autre s’adresse en retour à soi, quelque soit la réponse. C’est la recherche d’interactions, d’actions inter-individuelles, d’actions qui permettent d’être dans l’agir et de sortir de l’isolement.
L’immobilité et l’assignation à résidence psychique, c’est également l’effacement des trajets et des trajectoires, c’est la perte de sens dans la poursuite des projets à venir, c’est la remise en cause de ce qui a été construit et c’est pour finir le risque de passages à l’acte comme seule porte de sortie.
Même si les experts n’ont pas l’expérience nécessaire pour accompagner à la hauteur de l’expertise dont ils disposaient auparavant, ils restent ceux à qui sont adressées les questions.
Accueillir les questions, s’en poser soi-même, les adresser ensuite à d’autres pour construire une nouvelle méthodologie permet de continuer...de penser, de travailler, de soutenir et d’inter-agir.
Roxane Arbaretaz